Aller au contenu principal
Afficher le menu Masquer le menu
Revenir en haut de la page et afficher le menu
logo du théâtre de l'incendie
  • La compagnie
    • Contacts
    • Actualités
    • Compagnie
  • Laurent Frechuret
    • Biographie
    • Portraits
    • Mises en scènes et créations
  • Les spectacles
    • Tournées
    • Créations
    • Tous les spectacles
  • Archives
    • Images
    • Vidéos
    • Newsletter
 

Laurent Fréchuret

  • Biographie
  • Portraits
  • Mises en scène et créations

Un artiste dans la cité

Par Robert Abirached

Je crois savoir deux ou trois choses de Laurent Fréchuret qui, parce qu’elles touchent à l’essentiel, m’autorisent à écrire quelques mots en marge de son parcours, au moment où il s’apprête à quitter Sartrouville Je dirai d’abord qu’il est profondément un écrivain : non seulement parce qu’il est habile à adapter pour la scène des œuvres qu’il aime et qu’il donne à son écriture une incandescence souvent irrésistible, mais parce que son rapport au théâtre – c’est-à-dire à sa vie même – est avant toute chose un rapport aux mots dans leur matérialité. Je ne parle pas des mots qui attendent en troupeaux tranquilles d’être agencés en littérature, ni de ceux qu’on savoure déclinés en prose belle ou en poèmes porteurs de magie, mais des mots sauvages qui vous sautent à la tête, saisis au moment où ils entrent en ébullition, où leurs liaisons avec la raison et le sens vacillent, où ils se fracassent, où enfin ils s’étiolent au bord de l’extinction. Voici donc Beckett, Artaud, Burroughs, Pasolini , mais aussi, en cousinage plus joyeux, Lewis Carroll, Dario Fo et Copi pour le répertoire du Théâtre de l’Incendie, que Fréchuret fonde en 1993, à vingt-sept ans, avec quelques camarades stéphanois, sans craindre d’affronter la violence de l’art qu’il perçoit à travers ces œuvres : d’un féroce appétit de vivre à la défaite de l’être, de la simple volupté d’exister à l’avancée irrépressible de la mort, des éclats salvateurs du burlesque à la virulence de l’injure et de l’invective, la tension est forte, mais notre jeune homme accepte les contradictions de ce jeu cruel et les met en théâtre, en s’astreignant au respect d’une forte cohérence dans son programme.

Mais il faut immédiatement ajouter qu’à ses yeux, cette partie ne saurait se jouer dans la solitude, face à face avec un monde qu’elle disqualifierait ou tournerait en dérision. Dès qu’il entre en scène, Fréchuret sait qu’il doit trouver des interlocuteurs qui puissent devenir des partenaires, en inventant vers eux des chemins d’accès pour partager les découvertes et les joies de l’art : au théâtre, cela s’appelle des spectateurs. D’où, immédiatement, un corollaire essentiel : il est impératif de procéder avec humilité, sans complaisance à l’égard de soi et sans l’arrogance de celui qui sait. Mieux : écrire, jouer, diriger une équipe, construire un projet, tout cela est susceptible d’apprentissage. N’attendez pas de Fréchuret et des siens des proclamations satisfaites, mais, tout au long de leur résidence au Théâtre de Villefranche- sur-Saône (1998-2004), l’exercice au quotidien d’une vie de troupe et d’un travail collectif, avec tous les artisans qui contribuent à faire le théâtre. Il est nécessaire à l’artiste d’être attentif à la parole et aux soucis d’autrui, pour inscrire son œuvre dans la cité, à l’exemple de Jean Dasté, le patron, et de Gabriel Monnet, l’aîné tutélaire, toutes différences assumées en tenant compte de l’histoire qui avance et des mentalités qui changent. C’est sans doute auprès de ces maîtres, choisis à peu près au moment où la décentralisation était remise en cause, sous le prétexte, entre autres, de n’avoir pas su démocratiser l’accès au théâtre et aux arts, que Laurent Fréchuret a pris ses leçons. Le fait est qu’il aborde l’étape décisive de Sartrouville avec détermination. Il accepte tout naturellement de partager pendant deux ans avec Claude Sévenier la direction de l’établissement qu’il est destiné à prendre en charge. Il ne pouvait mieux tomber pour apprendre ce qu’il ne savait pas encore, c’est-à-dire le pilotage d’une maison de théâtre appelée à devenir bientôt un Centre dramatique national effectif. Sévenier est en effet une figure remarquable de l’histoire de la décentralisation, qui a conduit son centre culturel de métamorphose en métamorphose, depuis le milieu des années soixante où il organisait l’accueil de Patrice Chéreau et de Jean-Pierre Vincent, jusqu’à la constitution d’un théâtre radicalement nouveau pour la jeunesse, façonné par des écrivains, des metteurs en scène et des acteurs qui n’avaient d’autre spécialité que de jouer et d’écrire. Les aventures d’Heyoka – Centre dramatique national pour l’enfance et la jeunesse – et de la biennale de création Odyssées ont renoué avec les spectateurs et l’environne- ment urbain des liens forts et généreux. Il me plaît que Laurent Fréchuret ait conclu ses années d’apprentissage dans cette entreprise, non pas à partir d’une table rase, mais en intégrant à son projet les apports d’une riche mémoire, transmise au long des années jusqu’à Joël Jouanneau, Olivier Py et quelques autres, sous l’impulsion d’un directeur qui connaissait admirablement son métier.
Le programme formulé alors par Laurent Fréchuret est explicite et mérite d’être connu des nouveaux arrivants dans la décentralisation. Il s’agit de « partager avec la population des histoires qui racontent le monde comme il va et comme il ne va pas et d’inventer un théâtre ouvert sur la cité ». Tout est dit en quelques mots, sans s’attarder à des balivernes ou à des rodomontades, en mettant la création et la présence artistique au cœur du nouveau projet. On a vu ainsi se fabriquer, s’organiser des spectacles dans la ville-siège et en tournées nationales et internationales, coproductions avec de jeunes compagnies et artistes confirmés, et, au-delà de ce tout venant qu’on connaît, une ouverture forte vers le public, à travers ateliers de formation d’acteurs et grands chantiers théâtraux ouverts à la population pour aboutir à des spectacles faits avec elle. Le CDN embauche également trois acteurs permanents, intégrés à l’équipe et à la vie quotidienne du théâtre. Parallèlement, dans l’esprit d’un « service public de l’art et de la culture », il est pris un soin têtu à l’aménagement des lieux, au développement et à l’extension de l’outil théâtral, avec la construction d’une deuxième salle de 260 places et d’une grande salle de répétition.

Le défi relevé à Sartrouville par Laurent Fréchuret et son équipe a apporté la preuve que les idées, les ambitions et les pratiques qui ont fait l’efficacité et le renom du théâtre public sont loin d’être obsolètes. Rajeunies et mises en concordance avec les temps nouveaux, elles gardent la même utilité sociale et civique, puisée au cœur de la création artistique, pour peu qu’elles soient mises à l’abri des querelles  égotistes, des étourderies financières et des définitions dévoyées de la rentabilité. On ne s’étonnera pas, pour finir, que Laurent Fréchuret, renouant avec des comportements anciens, reprenne son baluchon sans tambour ni trompette, au bout de neuf années d’un mandat fécond à tous égards.

  • » HABITER UN THÉÂTRE
    Inventer et partager un Centre dramatique national à Sartrouville,
    Les Solitaires Intempestifs,
    Théâtre de Sartrouville et des Yvelines - CDN,
    2012 - pdf 57,2mo